Cette structure s’explique par le fait que l’histoire de la famille repose sur un secret, celui de l’existence d’Erra. Le secret sera alors révélé au fur et à mesure de la lecture, ménageant un certain suspens.
Le récit de Sol se déploie dans les Etats-Unis de l’après-11 septembre, et est donc imprégné de la culture du XXIe siècle. Le lecteur y retrouve notamment la grande place de la technologie, l’importance du terrorisme, ainsi que la dénonciation du culte de l’enfant-roi. Celui de Randall, situé en 1982, aux Etats-Unis puis en Israël, met en scène la guerre difficile entre Israël et les pays arabes environnants, et notamment le Liban. Celui de Sadie, situé en 1962 au Canada, se développe au cœur de la « Beat generation » et évoque plus précisément la vie des Juifs à Toronto. Enfin, le récit d’Erra prend place dans l’Allemagne de 1944, et, à travers le quotidien d’une famille, montre la dureté de la vie pendant la guerre. Ces quatre récits accordent donc à l’Histoire une place prédominante, qui s’articule avec l’histoire de cette famille. En effet, Erra, petite fille, a intégré le système des fontaines de vie nazies, ce qui lui sera révélé dans son récit et marquera les relations des trois générations qui vont suivre.
Le grand nombre de déplacements géographiques des personnages, associé à la double nationalité de l’auteure, francophone et anglophone, amènent à un traitement intéressant de la langue. Nancy Huston, dans son propre travail de l’écriture, passe régulièrement de l’anglais au français et du français à l’anglais, ayant parfois besoin d’écrire dans une langue pour traduire son texte. Son écriture est ainsi souvent doublée d’un travail de traduction qu’elle ressent comme nécessaire. De fait, Lignes de faille est écrit en français, mais Huston fait de son roman un véritable pot-pourri linguistique, mêlant constamment au français d’autres langues, telles que l’anglais, l’allemand ou l’hébreu. Il est intéressant de voir qu’au sein même du roman les langues interagissent, notamment lorsque les personnages traduisent des mots d’une langue à l’autre, dans un souci d’apprentissage pour Randall, ou de véritables jeux de mots pour Sol.
Ainsi, Lignes de faille reste un roman profondément francophone, marqué par la « surconscience linguistique » qu’évoque Lise Gauvin pour exprimer le rapport de certains auteurs à la langue, les écrivains exilés ou se partageant entre plusieurs langues, et dont le rapport à la langue ne va pas de soi. En effet, ce roman montre des personnages mobiles, bousculés de culture en culture et de langue en langue, et qui finissent par l’aborder avec un certain recul.